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A quand la fin de la violence politique en Tunisie?

La Ligue tunisienne de défense des droits de l’Homme (LTDH), le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) et la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) s’inquiètent vivement de la recrudescence d’actes de violence politique en Tunisie qui constituent une menace croissante pour l’exercice de libertés individuelles et collectives dans le pays.

Ces derniers mois, la Tunisie a été le théâtre d’attaques qui sont pour la plupart le fait de groupes extrémistes, se présentant comme les garants du respect des préceptes religieux, qu’ils considèrent comme devant régir la société tunisienne,   mais aussi à plusieurs reprises, de groupes se désignant comme protecteurs de la révolution. Ces attaques ont pris des formes diverses – campagnes de diffamation allant parfois jusqu’aux appels au meurtre, agressions physiques et destructions de biens. Elles ont ciblé aussi bien des défenseurs des droits humains et autres militants de la société civile, particulièrement des femmes, que des membres des partis politiques, ou encore des artistes ou des universitaires.

L’inertie des autorités face à ces actes contribue à répandre un sentiment d’impunité pour ceux qui tentent de mettre à mal les libertés fondamentales et notamment les libertés d’association, d’expression et de rassemblement pacifique en Tunisie.

La LTDH, le REMDH et la FIDH appellent les autorités tunisiennes à prendre les mesures nécessaires pour garantir que de telles violences ne se répètent et notamment, à diligenter systématiquement des enquêtes indépendantes et impartiales pour que toute la lumière soit faite sur les violences perpétrées et que les responsables de ces actes aient à en rendre compte devant la justice

Nos organisations appellent les autorités à protéger et garantir l’exercice des libertés fondamentales et des droits humains universels conformément aux engagements de la Tunisie et à garantir l’édification d’un Etat démocratique et pluraliste.

Contexte

Le 18 octobre 2012, lors d’une manifestation organisée par la ligue de protection de la révolution à Tataouine au sud de la Tunisie, le coordinateur régional du parti politique Nida Tounès, M. Lotfi Naqdh, a trouvé la mort lors d’affrontements entre ses partisans et des manifestants appelant à un « assainissement » de l’administration publique des anciens du régime. Suite aux appels lancés pour que la justice se saisisse des faits, une instruction a été ouverte et des mandats de dépôt à l’encontre de 8 personnes accusées de meurtre avec préméditation ont été émis. Le 5 août 2012, M. Abdelfattah Mourou, un des fondateurs du parti Ennahdha, a été agressé lors d’une conférence à Kairouan pour avoir défendu un intellectuel tunisien, M. Youssef Seddik. En effet, un groupe de personnes, identifiées comme salafistes, a fait irruption dans la salle de conférence et a demandé à ce que Youssef Seddik quitte les lieux, l’accusant d’avoir porté atteinte au sacré. Un membre du groupe s’en est pris à M. Mourou, qui a été blessé et a dû être transporté à l’hôpital.

Le 16 août 2012, le festival de la journée Al-Aqsa à Bizerte organisé par la Ligue tunisienne de la tolérance et d’autres associations a été également attaqué par un groupe de salafistes munis d’armes blanches et ce pour protester contre la présence de Samir Kantar, un militant du Front de libération de la Palestine (FLP) qu’ils accusent d’apostasie et de soutenir Bashar al-Assad. L’événement a dû être annulé et trois des organisateurs ont été grièvement blessés. La Ligue tunisienne de la tolérance a affirmé lors d’une conférence de presse organisée quelques jours après cette attaque, que ses adhérents font l’objet d’actes de harcèlement au quotidien de la part de ces groupes extrémistes.

Des missions diplomatiques étrangères n’ont pas été épargnées par cette violence. En effet, le 14 septembre 2012 un groupe de manifestants rassemblé pour dénoncer la diffusion d’un film américain jugé comme portant atteinte à l’Islam a attaqué l’ambassade américaine à Tunis et a mis le feu au bâtiment avant de saccager l’école américaine.

Les témoignages se multiplient faisant état de violences ciblant spécifiquement des femmes.  Il s’agit le plus souvent d’actes de harcèlement et d’ agressions contre des militantes de  la société civile, militantes des droits humains,  avocates, syndicalistes et journalistes, qui se voient reprocher  des comportements «indécents et contraires aux bonnes mœurs».

La liberté de création a également été menacée à plusieurs reprises. L’un des cas les plus emblématiques concerne la flambée de violences attribuée à des groupes extrémistes qui a touché plusieurs régions de la Tunisie en juin 2012 suite à une exposition d’œuvres artistiques dans le cadre du « Printemps des arts ». Des dizaines de manifestants scandant des slogans contre les artistes se sont introduits dans le palais pour saccager des œuvres d’art jugées blasphématoires et contraires aux bonnes mœurs. Des tags fustigeant « les mécréants » étaient inscrits sur les murs du bâtiment. Le soir même, des postes de police, des sièges régionaux de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) ainsi que des sièges de partis politiques à Jendouba, Sousse et Monastir ont été pris d’assaut.